Les bijoux de l’époque victorienne

Les bijoux, au même titre que les livres, les meubles et les accessoires de décoration, font partie du patrimoine matériel et témoignent de l’esprit d’une époque. Si de tout temps ils ont fasciné les

Victoria. Reine de Grande-Bretagne et impératrice des Indes. Photographie, 1898. (Collection Yves Beauregard)
Victoria. Reine de Grande-Bretagne et impératrice des Indes. Photographie, 1898. (Collection Yves Beauregard)

gens et contribué à façonner l’Histoire, c’est surtout à l’ère victorienne qu’ils ont connu leur plus grande popularité.
En 1837, la reine Victoria inaugure ce qui sera le plus long règne de l’histoire de Grande-Bretagne. Pendant 64 ans, de 1837 à 1901, elle symbolise l’expansion et le triomphe de l’Empire britannique. Cette impératrice des Indes, reine de Grande-Bretagne et d’Irlande, que le peuple verra d’abord jeune femme et qu’il suivra ensuite jusqu’à son très vieil âge, est « altière, passionnée par les jolies choses, extrêmement cultivée au sujet de tous les styles d’époque ». Elle influence donc les modes de vie, entre autres par son goût et son amour immense des bijoux.

Les spécialistes divisent le règne de Victoria en trois périodes d’environ vingt ans chacune. La première (1840-1860) est caractérisée par les reproductions de belle qualité des bijoux rappelant le style gothique et la Renaissance. La deuxième (1869-1880) est célèbre pour les pièces ostentatoires serties de perles et de diamants d’Afrique du Sud. Il faut également savoir que les Anglais fortunés, à partir de 1850 avaient rapporté des bijoux de l’Inde et du Japon, objets dont les joailliers britanniques se sont largement inspirés… Enfin, graduellement, de 1880 jusqu’en 1900 (la troisième et dernière période), les lourds bijoux sont remplacés par des pièces plus petites. On voit alors apparaître les bijoux de fabrication de masse en argent et même ceux de fantaisie devenus si courants par la suite.

Victoria. Reine de Grande-Bretagne et impératrice des Indes. Photographie, 1898. (Collection Yves Beauregard)

La turquoise est la pierre préférée de la reine. Lors de son mariage, en 1840, avec Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, son cousin allemand bien-aimé, elle offre en cadeau à chacune de ses dames de compagnie une bague avec son portrait peint à la main, entouré de turquoises taillées en cabochon.
Quelques années auparavant Sir Walter Scott avait écrit une nouvelle qui freine la demande pour les bijoux en opale. Il y dépeint cette variété de silice comme une source de malchance si elle n’est pas la pierre de naissance. Afin d’aider l’Australie, colonie britannique, à relancer le commerce de cette pierre, la reine Victoria n’hésite pas à faire don de bijoux de ce matériau à ses amis et aux membres de sa famille lors de son couronnement. Elle renouvelle l’expérience à l’occasion des fiançailles de ses filles.

À la mort du prince Albert, en 1861, la reine Victoria, veuve de 42 ans, porte le deuil complet. À son exemple, le noir (par l’entremise du jais, de l’onyx et de la marcassite) ainsi que le blanc (par le port de diamants et de perles symbolisant les larmes) deviennent très répandus. Le courant romantique en France, figuré entre autres par Alphonse de Lamartine et François René de Chateaubriand en littérature, Eugène Delacroix en peinture et Hector Berlioz en musique, exalte l’expression personnelle, ce qui stimule la création de bijoux sentimentaux (sentimental jewelry).

Cette influence se fait sentir un peu partout. Ainsi, un bijou de deuil est spécialement prisé en Angleterre : les femmes, au décès d’une personne qui leur est chère, portent en souvenir une

1- Broche pendentif en or au motif d’étoile, ornée de perles fines (vers 1885) (Collection La Boîte à Bijoux)
2- Bague foi en or ou « claddagh », du nom d’un village irlandais. Mains entourant un cœur surmonté d’une couronne : « Que l’amour et l’amitié règnent! ». (Collection privée).

broche, souvent formée à l’avant d’un myosotis (au nom anglais bien choisi forget me not), autour de roses, la fleur préférée de la reine Victoria, et à l’arrière des cheveux artistiquement entrecroisés de l’être aimé et du survivant. On affectionne particulièrement cette mode et en France, des femmes vendent même une partie de leur chevelure afin qu’elle soit tressée et travaillée de façon à en faire des bijoux. Un des petits métiers de l’époque est d’ailleurs le tisseur de cheveux à la main…
Quels étaient les motifs les plus courants dans la composition des bijoux victoriens? Les boucles, les serpents, les cygnes, les cœurs, les mains, les anges, les monogrammes, les étoiles, les croissants, le trèfle à quatre feuilles, la couronne, la croix, l’effigie d’un souverain.

Pour ce qui est des métaux utilisés, au milieu des années 1800, les bijoux « de jour » étaient en argent et ceux « de soir » en or de l’Australie ou du Klondike (une autre colonie), or rose si cher aux collectionneurs, or blanc ou jaune, de 9 à 22 carats.

Les autres pierres ou matériaux les plus recherchés durant le règne de Victoria étaient l’ambre, le corail, le grenat, l’émeraude, le rubis, le saphir, le péridot, les camées en lave du Vésuve et en coquillage, le verre et même l’écaille de tortue, cette dernière mise à mal à un point tel que l’espèce menacée a dû être protégée!

Rappelons-nous que l’électroplacage, procédé qui consiste à recouvrir une base en métal avec de l’argent ou de l’or, existait déjà en 1844, ce qui ouvrait la porte à la réalisation de produits moins chers. Si les bijoux étaient d’abord l’apanage des rois puis de l’aristocratie, ils devinrent rapidement accessibles à la bourgeoisie, pour finalement séduire toute la population.

Au Québec, par contre, les bijoux étaient à peu près inexistants avant 1850. Ensuite, on les importait soit d’Angleterre, avec des bijoux de 9, 12 ou 15 carats, soit de France (18 carats) ou encore des États-Unis (14 carats).

Pour l’occident, c’est surtout grâce à la Grande-Bretagne, berceau et fondement de l’ère victorienne, que les bijoux ont acquis leur renommée. Grâce à leur reine, les sujets de Sa Majesté ont pu longtemps se glorifier du fait que leur pays était le centre majeur de fabrication des plus belles pièces représentant l’apogée de la puissance politique, culturelle et économique de l’Empire.

Broche commémorant le deuil, vers 1870. La base est en onyx décoré de motifs de myosotis en perles fines et diamants. Le cadre est composé de roses sculptées dans l’or. À l’arrière, les cheveux de l’être aimé et du survivant ont été tissés et placés sous verre (vers 1870). (Collection La Boîte à Bijoux).

Il est indéniable qu’on a un faible pour le bijou victorien, à la facture si raffinée et sophistiquée, facture qui se manifeste dans les moindres éléments du quotidien (mode, ameublement, architecture, etc.). L’engouement est tellement fort même, que ce type de bijou est copié de partout dans le monde : jusqu’à ses défauts d’exécution qui sont reproduits! Impossible de deviner « l’imposture » et de savoir si un bijou est d’origine ou non sans avoir recours à un expert.

Mais bientôt, c’est une accélération de l’industrialisation; l’éclairage électrique remplace les lampes à l’huile; on annonce l’Exposition universelle de Paris pour 1900; les artistes, véritables précurseurs et visionnaires, s’orientent vers le style Art Nouveau en France et le mouvement Arts and Crafts en Angleterre. D’ici peu (en 1901), Édouard VII succèdera à Victoria, en Grande-Bretagne. C’est un vent de changement qui balaie tout l’univers occidental.