Le début du XXe siècle, période de grands bouleversements
Les années 1900, c’est l’Exposition universelle de Paris, le premier vol des frère Wright, le ballet Schéhérazade du Russe Serge de Diaghilev, l’invention de l’automobile par Henry Ford, les créations de l’architecte Frank Lloyd Wright, la nouvelle peinture de Gustav Klimt et Alfons Muchas. C’est aussi Marcel Proust en littérature, Sigmund Freud pour la psychanalyse. C’est l’avènement du cinéma, la musique de Claude Debussy, la naissance de la radio…
Deux mouvements émergents coexistent: Art nouveau en France et Arts and Crafts en Angleterre
Le début du XXe siècle connaît donc de grands bouleversements dans la société. L’art n’y échappe pas. En design, deux mouvements coexistants voient le jour en Europe : les joailliers d’avant-garde travaillent dans les styles Art nouveau en France (mais aussi ailleurs en Europe et aux États-Unis) et Arts and Crafts en Angleterre.
Samuel Bing, passionné de l’art japonais, établit la Maison de l’Art nouveau, en 1895, à Paris. Le mot est lancé! Ce sera l’époque de l’Art nouveau en France!
Du côté des bijoux, le changement émerge surtout de la volonté des joailliers de se concentrer sur le design artisanal plutôt que sur la valeur des pierres utilisées. Une nouvelle approche naturaliste apporte des motifs tels le visage féminin encadré d’une longue chevelure ondulée, le corps féminin 9nu ou demi-nu), les fleurs (orchidées, nénuphars, muguet), les insectes (libellules, papillons, abeilles), les oiseaux (paons, hirondelles, cygnes), la vigne enserrant les troncs d’arbres, les serpents (symboles de la vie éternelle). Les volutes sont présentes partout dans l’art nouveau; les plus célèbres apparaissent à l’entrées du métro de Paris conçue par l’architecte Hector Guimard.
À cette époque, plusieurs pièces sont créées pour le théâtre. Pensons aux Folies-Bergère, à la danseuse et courtisane Liane de Pougy, à Sarah Bernhardt! Les bijoux sont décorés de rubis et de saphirs synthétiques, de cristal de roche, de pierre de lune, de lapis-lazuli d’ivoire, de corne. L’émail connaît un regain important grâce à Pierre-Carl Fabergé, joaillier de la famille de Nicolas II, dernier tsar de Russie.
D’autres maîtres ont été reconnus dans l’Art nouveau. En France, René-Jules Lalique, connu pour son travail de verrier mais aussi pour ses créations très raffinées de bijoux, est la figure incontournable et dominante. La Maison Vever, Lucien Gaillard et Georges Fouquet se sont aussi démarqués. En Amérique, Louis Comfort Tiffany se fait d’abord connaître pour ses vitraux et ses lampes qui portent désormais son nom. Ses bijoux l’ont rendu célèbre à travers le monde.
Au même moment, en Angleterre, s’amorce le mouvement des Arts et métiers mieux connu sous l’appellation Arts and Crafts. En réaction à l’industrialisation, les penseurs de cette nouvelle école veulent redonner la place à l’artisan. Un de ses instigateurs célèbres est l’écrivain, peintre et décorateur William Morris.
Les motifs typiques des bijoux Arts and Crafts sont les lignes entrelacées où les nœuds celtiques sont à l’honneur. Plus souvent en argent, les bijoux sont décorés d’émaux, d’ivoire, de corne, de nacre aux reflets satinés. On sertit aussi des pierres moins coûteuses, souvent taillées en cabochons, comme l’ambre, le grenat, l’améthyste, la turquoise. Les pierres facettées et les diamants sont très rarement utilisés par les défenseurs de ce mouvement.
Les joailliers se concentrent sur le design artisanal.
Fabriquer un bijou à la main n’est pas à la portée de tous. En Angleterre, deux joailliers se distinguent : Charles-Robert Ashbee et Arthur Lasenby Liberty, propriétaires des célèbres magasins Liberty. Ce dernier a la brillante idée d’employer dans son atelier de Birmingham les artisans de la guilde qui dessinent les modèles et font la finition de chaque bijou entièrement à la main. Une partie de la production proprement dite se fait habilement à la machine, ce qui assure une qualité plus constante au produit final. Cette heureuse expérience a été reprise par Théodore Fahrner dans ses ateliers de Pforzheim, près de Strasbourg, alors ville d’Allemagne.
L’art nouveau et le mouveau Arts and Crafts font partie d’une vaste réforme qui aboutit au renouvellement de l’esthétique. Parallèlement, la haute bourgeoisie fait preuve d’élégance et de son opulence. Pour les dames, cela rime avec une profusion de dentelles, de soies et de plumes exotiques. On parle alors du style guirlande en France et édouardien en Angleterre. Le chef de file du style guirlande est sans contredit la Maison Cartier qui porte à son apogée l’usage des diamants et des perles serties délicatement dans le platine. Ce style est caractérisé par un dessin léger formé de festons de feuilles et de fleurs. Toutefois, il a peu dépassé les frontières de la France.
L’Empire britannique est en deuil en 1901; c’est la fin de l’ère victorienne. À 60 ans, Édouard VII accède enfin au trône pour les neuf
prochaines années. Alexandra, princesse née au Danemark, forme avec le roi un couple déjà célèbre dans le Paris de la Belle Époque. Alexandra pardonne les infidélités d’Édouard et fait sa marque dans le monde de la mode. Elle rend populaire le collier de chien, bijou large porté serré au cou, parfois formé de plusieurs rangs de perles ou souvent d’un ruban de velours ou de soie. On chuchote que cette élégante cachait ainsi une cicatrice…
Les diamants essentiels aux bijoux édouardiens.
Les motifs populaires du style édouardien sont le fer à cheval (porte-bonheur), les bréchets, les couronnes, les feuilles de laurier et les chevaux avec carrosse.
Les diamants sont essentiels aux bijoux édouardiens, surtout qu’ils sont maintenant mieux taillés grâce aux nouvelles techniques. On voit apparaître l’usage du platine en Angleterre. Métal résistant, il permet grâce au sertissage à grains de les mettre pleinement en valeur.
D’Autres pierres sont aussi populaires : l’améthyste, l’opale, le grenant démantoïde (pierre verte très brillante, favorite d’Édouard VII), la kunzite (pierre rose, la préférée d’Alexandra), le péridot.
Vers la même époque, au Canada, Henry Birks, héritier d’une longue tradition d’orfèvres, développe son entreprise fondée à Montréal, en 1879. Rapidement, et avec l’aide de ses trois fils William, Massey, Harry et Gérald, il ouvre un magasin dans chacune des grandes villes canadiennes. Après Montréal, c’est Ottawa, puis au fur et à mesure que se construit le chemin de fer, de plus en plus vers l’Ouest. Homme d’affaires averti, William Birks a su répondre au goût de luxe grandissant chez les anglophones de Montréal et du reste du Canada. Aujourd’hui encore, Montréal est reconnue comme l’un des chefs-lieux de la bijouterie au Canada.
En 1914, l’annonce de la Première Guerre mondiale en Europe vient changer le cours de l’histoire. L’énergie des hommes et des machines ne sert dorénavant qu’à nourrir ce monstre qu’est la guerre. Dans ce contexte de rationnement et de pénurie, la fabrication de bijoux restera donc en veilleuse au profit de la production de guerre.
Enfin, ce sera la fin des hostilités, la reconstruction de l’Europe et bientôt les Années folles. Il faut attendre les années 1920 pour voir s’amorcer une nouvelle ère, une ère de paix où fleurira l’Art déco puis, peu après, l’Art rétro.