Jocelyne Rouleau, gemmologue et diamantaire, nous explique les bijoux et leurs histoires.
Entrevue de Jocelyne Rouleau par Louise Deschâtelets, diffusée à l’émission « Louise à votre service » en avril 2004.
Madame Rouleau, ce qu’on appelle un bijou de succession, ça veut dire quoi?
Ça ne veut surtout pas dire que la personne est décédée. Un bijou de succession peut être ancien ou contemporain, mais c’est un bijou qui a déjà eu un propriétaire. On a des bijoux de succession, vous l’avez dit au début, à partir de 1840 à peu près jusqu’à l’année dernière. Moi je recommande toujours aux gens, aux baby-boomers, pendant qu’ils sont en bonne santé, physique et mentale, de voir à qui ils veulent léguer leurs bijoux. C’est sûr qu’idéalement le premier choix devrait toujours être de garder le bijou dans la famille, soit aux filles mais n’oublions pas les petites filles. J’ai des dames qui viennent me voir quelquefois qui me disent : « Je n’ai pas de fille, je n’ai eu que des garçons. » Mais quand on a des petites filles, c’est important que les bijoux passent une autre génération. Aussi, quelquefois, réservez un bijou pour quelqu’un qui a bien pris soin de vous, quelqu’un de qui vous avez été proche, c’est un souvenir, un bijou c’est quelque chose de tellement personnel, c’est quelque chose qu’on a acheté parce qu’on l’aimait, qu’on a porté sur soi, donc la valeur sentimentale est très importante.
Et vous parliez d’écrire.
Je recommande encore là aux gens d’écrire : tel bijou m’a été offert lors de la naissance de ma fille ou de mon fils en telle année, ou tel bijou a été acheté lors d’un voyage à Paris en 1960. C’est important que ces choses-là ne se perdent pas, parce que les bijoux sont vraiment des témoins tangibles d’événements importants dans nos vies.
Et en général, on achète des bijoux pour des événements tels un anniversaire, Noël…
…Souvenirs de voyage, souvent.
Vous me parlez de cette bague, qui est assez impressionnante.
C’est une bague qu’on appelle « bague cocktail ». On sait qu’après la deuxième guerre mondiale, les gens avaient le goût de fêter, de reconstruire. Il y a eu le baby-boom. Il y a eu l’avènement des banlieues. Les gens avaient le goût de la fête, alors on portait beaucoup de genre de bague-là, surtout au début des années 50. L’autre ici est typiquement de style art-déco.
Qu’est-ce que c’est comme pierre?
Tout simplement un morceau d’onyx, entouré de diamants avec un diamant au centre. On en a vu beaucoup dans les années 1925. L’art-déco est vraiment caractérisé par les formes géométriques.
Ah, c’est comme ça que vous le reconnaissez à prime abord.
Oui, c’est vrai pour les meubles, c’est vrai pour toutes sortes de choses…
Parce qu’il y a toujours un lien entre les meubles, les vêtements, les bijoux fabriqués à une époque particulière.
Et l’art aussi. L’art-déco vient beaucoup du mouvement cubiste, qu’avaient inventé Picasso et Georges Braque, vers 1910 à peu près. Souvent les artistes inventent une façon et c’est suivi par les gens du design et par les joailliers par la suite.
Et la dernière?
Ça c’est une bague de forme navette, avec des diamants de taille ancienne. Ça date autour de 1890, à peu près. Ça servait souvent d’alliance à cette époque-là.
Au lieu d’avoir bague et jonc?
Solitaire, oui, souvent on faisait ça. On sait que c’est la fin de l’époque victorienne, parce que la reine Victoria est morte en 1901, donc c’est vraiment la fin de l’époque victorienne.
Une chose importante à dire, Jocelyne Rouleau, c’est que quand on veut acheter ce type de bijou ancien, il faut également aller dans des endroits spécialisés, comme à La Boîte à Bijoux, chez vous à Sillery, ou encore vraiment quelqu’un en qui on a confiance. On n’achète pas ça dans un marché aux puces, ou?
Dans des marchés aux puces, il y a eu autrefois le meilleur, et maintenant on voit aussi le pire. Ça veut dire que si les pierres ont été changées, le bijou vaut beaucoup moins cher. Si le bijou a connu une mauvaise restauration… S’il-vous-plaît, les gens à la maison, quand vous faites restaurer vos bijoux, voyez à ce que ce soit quelqu’un qui connaît ça, qui garde vraiment les griffes du bijou, qui garde l’attache d’origine, pour conserver la pleine valeur de vos bijoux, c’est très important.
Et majoritairement, ce sont des premiers descendants qui vous amènent les bijoux, ou…? Si je pense à ce bijou-là, il appartenait à quelqu’un et légué de mères en filles? Comment ça se passe?
Effectivement. Ce bijou est d’origine française. Ce bijou-là m’a été apporté par une française qui elle l’avait reçu en cadeau mais ne le porte pas. Donc, considérant l’importance du bijou, elle est venue tout simplement me l’offrir pour que je puisse le vendre. Il y a des bijoux pour lesquels on connaît le propriétaire, des fois ce sont des gens qui l’ont reçu directement de leur mère ou de leur grand-mère. N’oublions pas que les familles n’ont habituellement pas qu’un seul bijou, souvent on m’arrive avec des boîtes à souliers pleines de bijoux où vraiment il y a le meilleur et le pire. Des colliers de perles mélangés avec l’or et des bijoux de fantaisies, toutes sortes de choses. La Boîte à Bijoux, ça le dit, c’est un endroit où on trouve de tout, mais bien conservé, toujours dans le respect et l’importance de la conservation pour le patrimoine ici à Québec.
Est-ce que vous sentez un intérêt chez les jeunes, chez les jeunes filles pour ces bijoux-là?
Je vous dirais qu’à vingt ans, trente ans, non. Mais autour de la quarantaine, déjà, on aime… Je dis toujours que ça va tout ensemble. On aime la gastronomie fine, les bons vins, le plaisir d’avoir des objets différents, d’avoir des objets plus raffinés, des choses luxueuses, tout ça arrive en même temps, et quand on a la chance de rencontrer quelqu’un qui a la passion, la passion nourrit la passion. Souvent il y a un élément déclencheur qui fait que les jeunes femmes vont s’intéresser plus à ça. Mais actuellement ma clientèle type c’est une femme scolarisée qui aime les belles choses, qui a surtout le goût de porter des choses différentes. Ce qu’on voit à la Boîte à Bijoux, ce ne sont pas des choses qu’on voit dans les bijouteries (qui ont aussi des choses intéressantes, de la création) mais c’est autre chose, c’est une autre pensée.
J’imagine que quand on va vous voir, c’est qu’on a le goût de se faire un cadeau d’exception.
Oui. Souvent ce sont les femmes qui, elles-mêmes, s’achètent des bijoux. Elles ont le goût, par exemple, d’avoir un collier de perles dont elles auraient pu hériter de leur mère ou de leur grand-mère. Souvent, elles me disent : « ma grand-mère portait ce genre de choses-là ». Mais où est rendu le bijou, on ne le sait pas trop. C’est vraiment le plaisir de découvrir, comme on va chez l’antiquaire pour découvrir des vieilles lampes ou des porcelaines.
Ou des tasses. Vous venez de mentionner les perles, comme les perles s’améliorent à force d’être portées, elles changent de couleur, ça doit être intéressant!
Ce n’est pas tout-à-fait vrai.
Non? Moi qui croyait!
Je suis désolée madame Deschâtelets… Parce qu’une perle, c’est du carbonate. Tous les carbonates sont attaquables aux acides. Alors une perle ça use. Les perles qui sont toujours portées près du cou, souvent les gens me disent : « ma perle est morte ». En fait la nacre extérieure a été attaquée à l’acide, de là l’importance d’entretenir très bien nos perles et de les nettoyer.
Et le bijou que vous portez?
C’est un bijou de l’époque victorienne, c’est un bijou de deuil. Le fond est de l’onyx, il représente le deuil, le noir; la fleur est un myosotis, qu’on appelle « Forget-me not », ça dit bien ce que c’est; le tour ce sont des roses, elles étaient les fleurs préférées de la reine Victoria. Au dos, on voit les cheveux tissés, soit de deux personnes décédées ou de l’être vivant et de la personne décédée. Alors c’est vraiment un bijou de deuil, de 1870 à peu près.
Merci d’être venue nous visiter Jocelyne Rouleau aujourd’hui.
Ça a été un plaisir!