Cette époque est peu propice à la fabrication de produits de luxe. On réserve la platine à l’effort de guerre, on rationne l’argent, on interdit même à certains moments le commerce de l’or. Il faut réduire l’utilisation du métal : le bijou des années 1940 sera donc léger ou parfois même formé de pièces creuses.
Faute de matériaux, les bijoux de l’époque romantique et victorienne sont remodelés au goût du jour ou démontés pour récupérer les pierres, biens de valeur facilement transportables.
En effet, au cours de ces années de guerre, plusieurs personnes possédant des bijoux savent qu’ils auront à quitter l’Europe. Ils cousent des pièces d’or, des diamants et d’autres pierres précieuses dans l’ourlet de leurs vêtements, dans des jouets en peluche, etc. C’est de circonstances tragiques d’ailleurs que nous vient l’idée que les bijoux sont un investissement pour contrer les temps difficiles.
Au plus fort des hostilités, la route des pierres précieuses entre l’Europe et le Sud-Est asiatique est coupée. La Colombie et le Brésil s’affirment alors comme fournisseurs d’émeraudes, d’aigues-marines, de tourmalines, d’améthystes, de citrines et de topazes, qui s’agencent pour créer des effets surprenants.
Le style rétro des années 1940 est souvent décrit comme architectural et tridimensionnel; on parle de bijoux « sculptures ». Bien qu’encore influencés par l’Art déco, ses formes sont adoucies par des volutes aux courbes plus modernes. On retrouve également des compositions abstraites ou plus figuratives, tels des nœuds, des drapés, des fleurs ou encore des insectes et des animaux, comme la panthère ou le serpent. Les mécanismes en mouvement, par exemple des cadenas qui s’ouvrent, des écailles de poisson qui bougent, sont aussi populaires.
Dès que les États-Unis entrent en guerre, on façonne des bracelets qui ressemblent à des chenilles de char d’assaut, des broches représentant des avions et même des drapeaux bientôt décorés du V de la victoire!
Selon son degré d’alliage avec le cuivre ou l’argent, l’or prend les couleurs les plus imprévues : rouge, rose, vert, blanc ou gris. Sur une même création, les joailliers jouent donc avec les nuances de ce métal précieux ou avec les contrastes de surfaces polies et satinées. S’ajoute à cela la diversité des textures : guilloché, torsadé, facetté, ciselé, en dentelle… Sur le bijou, on devine un grillage, un travail d’osier, des hexagones formant des rayons de miel, etc.
L’œuvre de Cartier figurant un oiseau en cage (1942) évoque l’occupation de la France, puis l’oiseau à la porte de la cage (1944) rappelle enfin la libération (voir photo). Autres exemples : le jeune
coq fier symbolise la résistance en France; les colliers tuyau à gaz (aussi appelés chaînes serpents) rappellent les connexions flexibles des masques à gaz.
Après la seconde Guerre mondiale, une redistribution de la richesse s’opère, on assiste alors à un mélange des classes sociales. Les hommes rentrent au pays, on célèbre de nombreux mariages; c’est le début d’un phénomène appelé baby-boom. Une ombre au tableau toutefois : dès la fin de la décennie, l’Amérique apprend que les Russes possèdent la bombe atomique… Il reste que la vie devient en général plus confortable : téléviseur, machine à laver le linge, réfrigérateur, etc.
La raison d’être des bijoux étant de servir à l’ornement, il est naturel que ceux-ci suivent la mode. Le vêtement est plus simple et souligne les tailles fines. Les jupes reviennent à mi-jambe : 30 cm du sol, dixit Christian Dior! Les cols se décorent de broches et les manches trois quarts permettent le bracelet large. Les chapeaux, les manchons et les autres accessoires sont en demande. De leur côté, les hommes complètent leur tenue par des boutons de manchette et des épingles à cravate.
Dans cet univers nouveau, la France conserve son prestige grâce à ses monstres sacrés, mais dorénavant la compétition se révèle plus présente.
En effet, dans le sillage du boom économique que vit alors l’Italie, les acteurs du design italien, autant dans le vêtement que dans la joaillerie, attirent l’attention du monde entier. On assiste alors au triomphe du made in Italy, caractérisé par la fantaisie et l’éclectisme. Des grands noms de la joaillerie italienne, on retient Bulgari de Rome, reconnu pour son usage des pièces de monnaie comme composantes principales de ses bijoux.
Au cours des années d’après-guerre, la rareté des pierres et du métal se fait encore sentir. On se sert de minces feuilles d’or astucieusement travaillées pour donner l’impression de bijoux somptueux. On sertit des pierres fines, moins chères que le rubis, le saphir ou l’émeraude. La topaze, la citrine, l’améthyste et l’aigue-marine ainsi que le rubis et le saphir synthétiques prédominent pour créer un effet d’opulence (voir photo).
La décennie 1950 s’inspire du naturalisme : fleurs, feuilles, créatures ailées (oiseaux, papillons, insectes), grenouilles, serpents. On voit des motifs venus de la mer, comme les étoiles de mer, les hippocampes, les poissons et les coquillages, mais aussi des ballerines, des clowns et des épouvantails. Le loquet, médaillon de forme ovale ou en cœur, qui ouvre sur la photographie d’un être cher est un pendentif très répandu. Le milieu scientifique étant mieux connu du grand public, certaines formes de structures atomiques apparaissent dans le design du bijou. Les créateurs de l’époque sont également friands de dessins abstraits.
Des artistes réputés viendront s’exprimer par la joaillerie d’art. On pense à Alberto Giacometti, à Alexander Calder (célèbre pour ses mobiles), à Hans Arp, Max Ernst, Georges Braque, Jean Cocteau, Salvador Dali (la montre molle).
Les années 1950 proposent des bijoux plus lourds, en platine ou en or, composés de rangées successives formant des cascades. Dans la joaillerie fine, on utilise toujours les diamants et dès 1948, la plus importante société de diamants au monde, la De Beers Diamond Corporation, lance le slogan « Un diamant est éternel ». Le rubis, le saphir et l’émeraude réapparaissent alors sur le marché. Le corail rose, la turquoise, le lapis-lazuli, la labradorite et l’émail ornent les colliers, les boucles d’oreilles, les fameuses bagues cocktails. Le collier de perles typique de ce temps : 45 cm de long, allant de 7 mm au centre en dégradé jusqu’à 3 mm près du fermoir. Les mieux nanties portent des colliers de deux ou trois rangs de perles.
En Angleterre, la vente du bijou neuf a été étranglée par une taxe de 100%. Le marché du bijou de succession devient alors fort populaire. Old et New Bond Street à Londres demeurent encore
aujourd’hui des lieux privilégiés pour le commerce de ce type de bijou.
En Amérique, les maisons françaises sont bonne figure : Cartier, Van Cleef & Arpels, Chaumet et Mauboussin qui devient le joaillier des stars de Hollywood, dont Bette Davis, Joan Crawford, Grace Kelly (voir photo) et Elizabeth Taylor.
Les bijoux des années 1950 sont fabriqués pour être portés lors d’événements moins formels qui font oublier l’atmosphère sombre de l’après-guerre. Le rock and roll et Elvis Presley sont à leur apogée, l’industrie du disque est très florissante, les Américaines portent la chemise ample sur un pantalon serré et les jeunes filles se sentent belles dans leurs dessous de crinoline.
Les designers de bijoux de fantaisie peuvent pleinement s’exprimer grâce au métal argenté ou doré, décoré de verre facetté imitant le diamant (pierres du Rhin) ou les pierres multicolores. Des noms comme Coro, Sherman et Boucher ont su passer l’épreuve du temps.
Plusieurs créateurs européens exilés aux États-Unis et au Canada ont influencé le développement de la joaillerie en Amérique. Aux États-Unis, Jean Schlumberger (joaillier chez Tiffany), Harry Winston, collectionneur de diamants, et David Webb demeurent de grands noms.
Français d’origine, Gabriel Lucas ouvre, en 1940, un magasin rue Sherbrooke, à Montréal. On le considère aujourd’hui comme le père de la joaillerie d’art au Québec. Aussi venu de France, Georges Delrue est maintenant reconnu et l’on collectionne ses bijoux des deux côtés de l’Atlantique. Georges Schwartz a également fait sa marque. Le Suisse Hermann Gutknecht a dirigé de main de maître les ateliers de Henry Birks et fils d’où il a conçu toute la production, celle-ci étant ensuite expédiée dans les autres provinces canadiennes. Ces joailliers ont généreusement diffusé leur savoir-faire auprès d’apprentis qui à leur tour se sont démarqués.